Blé : derrière la mention “Sans insecticides de stockage”

Le stockage sans insecticides est une étape majeure de la sortie des pesticides.

L’interdiction des insecticides de stockage après la récolte du blé est intégrée par de nombreux cahiers des charges de filières ou de labels responsables. Cette exigence implique une réorganisation profonde des pratiques. Explications.

La garantie “sans insecticides de stockage” (SIS) des blés utilisés en panification est étendue à la plupart des cahiers des charges des filières ou labels responsables (Label Rouge, Culture Raisonnée Contrôlée [CRC], Agriculture Biologique, Nature & Progrès, filière Responsable des Moulins Soufflet, La Nouvelle Agriculture de Terrena Meunerie, etc.). De nombreuses minoteries et coopératives appliquent ce mode de conservation de la céréale à l’ensemble de leur production, en l’intégrant comme un pilier de leur démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises).

Aujourd’hui, le blé SIS est quasiment devenu la norme dans les farines supérieures à destination de la boulangerie artisanale. Même en conventionnel, les traitements insecticides se font de plus en plus rares, et relèvent du dernier recours. Il faut dire que la réglementatio­n européenne est toujours plus restrictive en la matière et les politiques nationales toujours plus incitatives (plan Écophyto II). Les insecticides de stockage sont aussi devenus une cible prioritaire car ce sont les principaux pesticides du blé et de la farine, et les plus problématiques pour la santé.

L’intérêt des insecticides

Si les insecticides sont utilisés au moment du stockage des grains, c’est surtout pour éviter les dommages – et les pertes économiques associées – que les insectes sont susceptibles d’occasionner sur un silo. Les principales espèces attirées par le blé ou la farine sont de petits coléoptères bruns (charançons, ténébrions, sylvains et capucins, notamment). Leur petite taille et leur carapace dure sont un atout majeur lorsqu’il s’agit de se faufiler parmi les grains de blé, d’autant que certains d’entre eux se logent dans l’amande de la céréale.

Si aujourd’hui, les silos sont conçus comme de véritables forteresses, il n’est pas rare que des blés atterrissent déjà contaminés en coopérative. À leur arrivée, les lots sont donc systématiquement analysés puis nettoyés, voire traités chimiquement, de manière préventive (en cas de risque élevé) ou curative (en cas de contamination avérée). Les insectes sont ainsi éliminés ou tués par divers moyens mécaniques, thermiques ou chimiques.

Les insecticides sont particulièrement efficaces pour détruire toutes leurs formes biologiques (œufs, larves, spécimens adultes) ou maintenir les populations à un niveau acceptable. De nombreux composés (organochlorés, organophosphorés, pyréthrinoïdes, pipéronyl butoxyde, etc.) sont autorisés pour le stockage des blés, que ce soit en vue de traiter les grains (insecticides de contact) ou de décontaminer les équipements. Les techniques d’application sont elles aussi variées (fumigation, nébulisation, vaporisation…) et peuvent être mises en œuvre lors de la récolte – via la moissonneuse-batteuse –, du transport et/ou du stockag­e.

© A Tandeau - La bonne conservation du blé implique la mise en œuvre d’alternatives techniques efficaces (ici des nettoyeurs-séparateurs en meunerie).

La réglementation

Le recours aux insecticides de stockage est réglementé à l’échelle européenne. Une liste des matières actives autorisées est établie, avec un dosage d’application et une limite maximale de résidus (LMR) à ne pas dépasser. En conventionnel, si l’agri­culteur a effectué un traitement, il a pour obligation de le déclarer à l’organisme stockeur afin que celui-ci n’utilise pas la même molécule, dans l’objectif de rester sous la LMR. L’effet cocktail des pesticides n’est pas pris en compte par la réglementation.

Dans les cahiers des charges SIS (comme le Label Rouge et le CRC), la quantité totale des insec­ticides détectés doit être située en dessous du seuil de 0,01 mg/kg (ou parfois de 0,005 mg/kg), ce qui est extrêmement bas (et justifie l’emploi de la mention SIS). Les analyses des blés stockés (chez l’organisme stockeu­r) et des farines labellisées/certifiées (chez le meunier) sont encadrées par des cahiers des charges (échantillonnage, limites maximales, périodicité, etc.), et sont effectuées par un laboratoire indépendant agréé et accrédité.

Les défis techniques

Ce que les boulangers et les consommateurs ne mesurent pas toujours, ce sont les contraintes élevées que le blé SIS fait peser sur la filière en termes d’organisation, d’investissement et de coût de fonctionnement. En effet, pour lutter contre les insectes sans recourir à la chimie, il faut déployer un ensemble de stratégies alternatives, souvent coûteuses et peu efficaces. Le stockage et le transport doivent être effectués dans des contenants fermés et sains tout au long de la chaîne (notamment à la ferme). Les procédures d’hygiène en coopérative et en minoterie (contrôle des blés à l’arrivée, nettoyage et vérification de l’étanchéité des équipements, gestion des nuisibles et des contaminations croisées, notamment) doivent être bien plus rigoureuses.

© A Tandeau - Les principaux insectes ravageurs des grains de blé sont difficiles à éliminer (ici le ténébrion meunier).

Contre les insectes, diverses méthodes peuvent être appliquées : lutte biologique (insectes auxiliaires, pièges, terre de diatomée, etc.), désinsectisation préventive sans résidus (fumigation), chaleur létale, atmo­sphère contrôlée... Le nettoyage du grain s’impose à réception et s’effectue grâce à des nettoyeurs-séparateurs qui éliminent les corps étrangers de manière mécanique (dont les insectes et leurs larves). Le refroidis­sement à l’air naturel (réfrigéré et asséché si nécessaire) s’avère être la solution préventive la plus viable (en dessous de 12 °C, les principaux insectes ne se reproduisent plus). Bloquer le développement des populations par le froid ventilé représente cependant un énorme défi technique, énergétique, économique et écologique. Les groupes frigorifiques et les silos thermorégulés deviennent bien souvent nécessaire­s.

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